Handicap à l’école : de l’autre côté du pupitre …

Handicap à l’école : de l’autre côté du pupitre …

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Quand on parle de « handicap à l’école », on a souvent tendance à penser (à juste titre bien sûr !) aux seules situations liées aux élèves. TSA, TFA, TDA-H, Dys … qu’ils soient visibles ou invisibles, les handicaps sont divers et méritent une attention particulière de la part des enseignants et des équipes pédagogiques ou éducatives au sens large. Mais voilà … à l’école, il n’y a pas que les élèves qui peuvent être touchés …

En effet, depuis bientôt deux ans, je fais « officellement » partie de cette team des « PE-H ». Officiellement car j’ai reçu ma RQTH (reconnaissance de travailleur-se handicapé-s) en mars 2023 (pile le jour de mon anniversaire d’ailleurs).

En réalité, j’en faisais partie depuis ma naissance …

Qu’est-ce qu’un pied bot ?

C’est une malformation présente à la naissance, qui touche tout le pied (tourné vers l’intérieur) et le mollet (mal développé).

Elle peut être unilatérale (et ne toucher qu’un seul des deux pieds, comme c’est mon cas) ou bilatérale (et concerner les 2 pieds).

Le terme médical exact est « pied bot varus équin congénital idiopathique ».

Mon cas personnel

En mars 1988, je suis née avec un pied bot. Surprise, choc, angoisse, peur, tristesse … Depuis que je suis devenue maman moi-même, je repense souvent à toutes les émotions qui ont pu traverser mes parents ce jour-là. L’ascenseur émotif a dû être vertigineux.

Sachant que c’est une malformation que les générations suivantes peuvent avoir, j’ai également beaucoup angoissé jusqu’à la naissance de mes enfants (et j’angoisserai de nouveau pour mes petits-enfants le jour venu …).

Les 19 premières années de ma vie (rien que ça ;-p) ont été rythmées par un suivi chirurgical régulier. J’ai eu droit à de multiples opérations de la cheville (dont une arthrodèse qui est et restera mon principal souci jusqu’à la fin de mes jours, je le sais …) et de mon genou pour stopper la croissance d’une jambe (qui mesurait 5 cm de plus que l’autre).

 J’ai eu aussi des séances de kinésithérapie intensives et même quotidiennes durant de longues périodes de mon enfance pour permettre à mon pied d’acquérir mouvement et souplesse dans l’espoir que je puisse marcher et courir au moins un peu.

Alors oui, ne nous mentons pas, ce n’était pas ultra « fun » à vivre. Certes. Malgré tout, je n’étais (et ne suis toujours) pas la plus à plaindre. Il me suffit de repenser aux autres enfants que j’ai pu rencontrer durant mes soins pour me le rappeler et me faire relativiser : il y a toujours pire que soi sur Terre ! Pensons-y …

Les 10 années qui ont suivi ma dernière opération, je dois avouer que j’étais bien tranquille ! On ne voyait physiquement plus rien de mon pied bot : aucune trace physique (mis à part mes cicatrices que je prends très souvent soin de cacher et même d’éviter de regarder), aucun plâtre, aucune béquille ou fauteuil roulant, aucun claudiquement …

Mis à part un mollet plus fin que l’autre (que j’ai toujours d’ailleurs), j’étais totalement ordinaire et ne souffrait plus du tout. Personne ne pouvait se douter ni de mon vécu, ni de mon état.

J’y ai pris vraiment goût je dois dire !

Mais cela n’est plus le cas depuis quelques années…

Pied bot, boulot, bobo !

Mon pied bot c’est un handicap qui, bien qu’il soit physique, est totalement invisible des yeux du reste du monde. Et il y en a beaucoup d’autres !

Quand j’avais dit à mon chirurgien, étant plus jeune, que je voulais devenir enseignante, il m’avait jeté un regard paniqué : « Vraiment ? Réfléchis bien ! »

Il m’a averti que c’était une belle profession mais qu’avec un pied bot il y avait de fortes chances que cela me complique rapidement la vie. Piétiner toute la journée d’un élève à l’autre, ne pas faire de « vrais » pas, rester debout … Cela allait encourager un développement d’arthrose précoce. Avec mes opérations, je devais déjà en avoir plus tôt que de raison. Je le savais. Mais je me disais que ce ce sera autrement pour moi et que je n’aurais pas de soucis.

Le fait est qu’il ne mentait pas : ma profession a encouragé l’arrivée de l’arthrose … et des douleurs !

A mes 30 ans j’ai commencé à avoir mal à la cheville. De plus en plus … et de plus en plus souvent. Elle est déjà bien attaquée. Je fais avec et je serre les dents (je suis de toute façon beaucoup trop jeune pour avoir un traitement quelconque). Les changements de météo me déclenchent régulièrement des crises de douleurs plus ou moins intenses et supportables.Je suis devenue un véritable baromètre sur pattes ! Même une grenouille ne donne pas la météo avec autant de précision que ma cheville. ;-p

Il y a 2-3 ans, le quotidien (en classe mais pas seulement) était devenu vraiment très compliqué… Les crises de douleurs étant de plus en plus régulières, je me suis mise à boiter pour parvenir à gérer la douleur.

Ostéopathie, micro-kiné, réflexologie, … J’alterne toutes les médecines douces possibles pour tenir le coup et avoir des périodes (mêmes courtes) où je peux laisser ma tête se reposer. En vérité, j’ai la sensation qu’un bout de mon cerveau n’est plus « disponible » pour autre chose que la gestion de la douleur. Cette partie de ma tête est en permanence réquisitionné pour gérer mon pied : Où le placer sur cette route pavée et irrégulière ? Comment le poser pour que ma cheville ne vrille pas ? etc …

Rouler en voiture après une journée de piétinement en classe était devenu très dangereux car, rester quasi immobile un moment en fin de journée augmente les douleurs une fois que je remarche. Et quand les crises se déclenchent au volant, au moment de débrayer, c’est mission impossible ! La voiture automatique s’est imposé à moi sans quoi je ne me sentais plus en capacité de conduire mes enfants en sécurité d’un point A à un point B.

Il m’a fallu me résigner à faire reconnaître tout ça …

MDPH, RQTH et compagnie

En 2022, sur les conseils des médecins qui me suivent (et qui me disaient de le faire depuis plusieurs années …) j’ai finalement déposé un dossier auprès de la MDPH.

Cette démarche n’a pas été psychologiquement facile à réaliser car je ne trouve pas que je sois dans la pire des situations contrairement à d’autres personnes. Je ne me sentais pas « légitime » disons … J’avais (et ai encore parfois) la sensation « d’abuser ».

De plus, je dois bien avouer que je n’acceptais pas cette situation : avoir subi tant de traitements durant autant d’années afin d’être physiquement « ordinaire » pour finalement être reconnue « handicapée » n’était pas vraiment facile à avaler. J’avais vraiment la sensation d’avoir énormément souffert pour rien.

Si j’ai reculé l’échéance autant d’années c’est parce que j’avais d’abord besoin d’accepter la situation, de faire le deuil de la personne que je pensais pouvoir être, comprendre que mon corps était plus fort que ma seule volonté d’aller bien …

En mars 2023 (soit environ 8 mois après l’envoi de mon dossier pour celles et ceux qui voudrait une idée de la durée de traitement des dossiers), j’ai reçu une réponse à mon dossier MDPH avec l’obtention :

  • d’une RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé)
  • d’une CMI-P (Carte Mobilité Inclusion – Priorité) pour faciliter mes déplacements et éviter les files d’attentes
  • du droit à l’adaptation du poste de travail (ou une aide à la reconversion professionnelle si jamais cela s’avère nécessaire un jour).

Recevoir ce courrier a été émotionnellement difficile. Tristesse ou soulagement ? Je ne le sais toujours pas aujourd’hui. Le seule chose qui est certaine c’est que les larmes ont coulé. Beaucoup. Et pas seulement les miennes car, même après 30 ans, un papa reste un papa et une maman reste une maman. <3

« Grâce » à cela, j’ai eu la possibilité d’obtenir un poste qui soit plus proche de mon domicile. (je mets des guillemets car « grâce » tend à traduire quelque chose de plutôt positif. J’aurais préféré y parvenir sans aucune priorité alors j’avoue ne pas vraiment voir le positif dans cette situation mais bon … Ce n’est que mon ressenti personnel bien sûr et, vous l’aurez compris, ça cogite et rumine toujours autant dans ma petite tête …)

Ma situation actuelle

Depuis la rentrée 2023, j’utilise bien moins ma voiture et marche beaucoup plus.

Mon école est toute proche de ma maison et j’ai la possibilité (et même l’obligation médicale pour le coup !) de m’y rendre à pied. Le fait de réellement marcher et non plus seulement piétiner à grandement aider ma cheville à reprendre une activité physique quotidienne.

Petit à petit, ce nouveau poste a enrayé le cercle vicieux de ma cheville : j’ai mal donc je bouge moins donc je grossis donc il y a plus de poids qui pèse sur mes articulations donc j’ai mal donc je bouge moins, etc …

Les crises de douleurs se sont fortement espacées et ma tête s’est libérée. J’ai ainsi pu me remettre à vraiment penser, réfléchir et faire le point. J’ai suivi les recommandations des médecins en reprenant le sport (pilates, yoga, aquagym … je varie pour éviter de m’ennuyer) et en suivant un rééquilibrage alimentaire. Même si mon poids ne m’a jamais inquiété, le fait est qu’il est un facteur de bien-être important quand on a des soucis aux articulations.

« S’alléger c’est moins souffrir » me disait le docteur … Et je ne peux que confirmer.

Et demain ?

Demain ? Mystère !

Par exemple, la conduite en voiture reste toujours problématique, surtout pour les trajets longs. L’immobilisme que cela impose à ma cheville gauche engendre des crises importantes dès la reprise de l’ambulation.

C’est pire encore dans les files d’attentes : après un gros travail sur moi-même, j’ose à présent utiliser la file réservée aux personnes handicapées. Mon mari et mes enfants pourront vous l’attester : faire la queue à la caisse m’est physiquement impossible. Rester debout, statique, déclenche des douleurs qui me font couler les larmes (souvent même sans que je m’en rende compte).

Professionnellement, j’avais une forte crainte sur le fait de réussir à « tenir le coup » en maternelle. Puis je me suis adaptée : j’ai revu ma posture physique pour essayer de prévenir les douleurs plutôt que de les soulager, j’ai aménagé mon poste de travail de manière à ce qu’il soit aussi fonctionnel qu’ergonomique compte tenu de mon état, je roule bien plus sur mon tabouret plutôt que de piétiner et je fais le nécessaire au quotidien pour marcher/bouger au max afin d’obliger ma cheville à se mouvoir le plus possible malgré l’arthrodèse !

Mais des questions restent encore en suspens comme : est-ce que ma cheville tiendra sur le long terme ? Quelles adaptations devrais-je encore faire pour me soulager ? Ne vais-je pas devoir me réorienter professionnellement un jour ? Si cela arrive, quoi faire ? …

Seul l’avenir y répondra.

En attendant j’ai passé le CAFIPEMF pour me permettre de rester dans l’EN (car je ne me vois pas faire autre chose qu’enseigner ou former), je poursuis aussi mon suivi orthopédique, je continue d’aller consulter les thérapeuthes qui soulagent mes douleurs, je porte des semelles actives et adaptées à mon pied, je veille à ce que ma chevillère et ma canne pliable soient toujours à portée de main au besoin et je cherche à voir le positif dans chaque situation, même quand je souffre.

Merci à celles et ceux qui auront pris le temps de lire tout mon roman jusqu’ici.

J’espère de tout cœur que ce n’est pas parce que vous vous reconnaissez dans le propos. Cela signifierai que vous vous trouvez dans une situation semblable, innée ou acquise, et que vous souffrez également …

Malheureusement, comme j’ai pu échanger sur les réseaux avec beaucoup de collègues, je sais que les « PE-H » sont nombreux. Je sais aussi que, comme moi il y a quelques temps, beaucoup n’osent pas se renseigner ou faire les démarches de crainte de passer pour des « profiteurs » ou autre.

Je ne peux que vous conseiller de vous renseigner auprès de votre/vos médecin(s). e me rends compte seulement aujourd’hui que j’aurais dû écouter les miens bien plus tôt. J’avais un deuil à faire, certes, mais faire l’autruche n’a pas été judicieux dans mon cas.

Souvenez-vous que la MDPH n’est pas là QUE pour les élèves. Et encore seulement pour les autres. Elle est là pour vous aussi et pourra sans doute répondre à vos attentes, vos besoins …

Un handicap est un handicap. L’avis des autres importe peu. Seul votre ressenti compte. La douleur est une réalité qu’il ne faut pas négliger.

Ne la laissez pas s’installer. Un cercle vicieux s’en suivra et il n’est pas simple d’en sortir (je sais de quoi je parle !).

Une RQTH et une CMI. On pourrait se dire que ce n’est pas grand chose et pourtant … Pour moi, cela a changé beaucoup de choses !

Et si jamais, un jour, mon état empire, je sais désormais qui contacter pour m’aider. Je ne serai plus seule à faire face.

N’hésitez plus. Osez.

C’est votre droit.

Et c’est votre devoir. Envers vous-même. Pour votre santé. Pour votre avenir.

Vous trouverez plus d’infos sur le handicap à l’EN ici .

Commentaires

Une réponse à “Handicap à l’école : de l’autre côté du pupitre …”

  1. Avatar de Diane
    Diane

    Merci beaucoup pour ce témoignage. Je suis moi même touchée par le handicap invisible. Et même si ce n’est pas du tout pour la même chose, je me reconnais dans ce que tu racontes. Je te souhaite que ta cheville tienne sur le long terme et que toutes ces questions sur ton avenir ne soient pas posées ou dans un avenir le plus loin temps possible ! J’espère aussi que la gestion du handicap (surtout invisible) dans notre administration sera améliorée, car pour moi c’est un vrai combat mené depuis mon entrée dans l’éducation nationale… (après cela dépend peut être des académies…)

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